Vendredi 14 août 2020, direction le Queyras à une grosse centaine de kilomètres de Grenoble, c’est une région que je connais bien pour y avoir fait plusieurs raids à skis, de la randonnée et de l’escalade. Notre objectif avec mon collègue et nos épouses, c’est d’aller à Saint Véran se balader et faire de l’escalade au dessus du lac et du refuge de la Blanche. Une aire de camping-car existe à l’entrée du plus haut village d’Europe (2040m), mais à part la belle vue l’endroit n’est pas des plus pratique, c’est un simple parking ou l’on se range en position ‘passe-moi le sel’, pas très glamour. On décide donc d’aller se poser plus bas dans la vallée au camping Le Gouret à Aiguille, il est situé en amont du village direction le fond de la vallée sur la route d’Abries et de Ristolas, il est au bord du Guil sous une belle forêt de mélèzes.
Pour rejoindre le refuge de La Blanche une piste praticable depuis St Véran permet d’atteindre la chapelle de Clausis, la piste est interdite aux voitures l’été mais une navette au départ du village permet d’en faire une bonne partie, ensuite une grosse demi-heure de marche pour atteindre le lac et le refuge de la Blanche, les voies d’escalade sont juste au dessus On verra sur place en fonction des possibilités de déplacement.
Trajet classique, vallée de la Romanche, col du Lautaret avec petit arrêt pour une traditionnelle petite pause. Toujours beaucoup de monde, vélos, motards, voitures et camping-cars profitent des lieux. A Briançon nous prenons la route du col d’Izoard, magnifique route qui s’élève dans une belle forêt de mélèzes. La route est assez roulante, le bitume impeccable, il faut faire attention aux cyclistes qui dévalent à toute vitesse cette descente, grande classique du Tour de France. Petit arrêt au sommet du col 2360m pour admirer le point de vue et le spectaculaire passage de la Casse déserte, c’est un endroit à la beauté austère qu’il vaut mieux ne pas franchir en cas de très gros orages. Quelques belles pages du tour de France ont été écrites ici.



Une fois atteint le fond de la vallée où coule le Guil nous tournons vers l’amont pour passer Château Queyras dominé par son château dont les défenses ont été renforcées par Vauban comme beaucoup de places fortes de la région.

A la sortie d’Aiguille, se trouve notre camping où nous nous installons pour deux nuits à l’ombre des mélèzes. Ce sont des résineux qui perdent leurs aiguilles l’hiver, chaque printemps elles repoussent avec un beau vert cru qu'ils garderont jusqu’à l’automne et les premiers grands froids. Ces aiguilles offrent une belle ombre fraiche, elles sont très agréables au toucher.
Renseignement pris au camping, le système de navettes entre les différents villages et points reculés des vallées ne nous parait pas très pratique pour les activités que l’on avait prévues. Escalade pour les messieurs qui rime avec levée tôt et balades pour les dames qui pensaient nous rejoindre pour le piquenique. On fait donc une croix sur l’escalade, ce sera balades pour tout le monde.
On arrive à prendre le repas du soir à l’extérieur, mais la petite laine est de rigueur pour supporter la fraicheur.

Le lendemain matin, petit déjeuner au soleil avant de partir balader, direction Abries par un beau sentier et route forestière bien ombragés qui longent le Guil.



Abries et à moins de 3 kilomètres, le village est très animé et les habitants ont décoré leurs maisons avec des figurines grandeur nature qui illustrent la vie pastorale.




Après avoir bu un rafraichissement au bistrot du coin, retour par le même itinéraire au camping pour le repas de midi (non, 15H !).
Pour l’après midi, on décide de monter avec un seul véhicule à Saint-Véran pour déambuler en touristes dans ce village haut perché et tout en longueur. S’il n’y avait pas eu le covid, j’aurai dû venir au mois de mars faire ici une semaine de ski de randonnée, mais les événements en ont décidé autrement.
Pour la petite histoire, dans le passé, Saint-Véran et d’autres villages alentours étaient isolés les longs mois d’hiver.
L’habitat classique, c’est des maisons orientées plein sud à trois niveaux adossées à la pente de la montagne. Les animaux étaient au rez-de-chaussée, ils assuraient, en plus de la production du lait, une bonne partie du chauffage l’hiver, les gens habités à coté des animaux et au premier étage, encore au dessus se trouve la grange où était stocké le foin qui assurait aussi une bonne isolation.


Sur les façades des maisons étaient entreposé sur plusieurs rangées le bois pour l’hiver, il assurait lui aussi sa part d’isolation.
Si au cours de l’hiver on avait la mauvaise idée de mourir, il fallait attendre jusqu’au printemps dans la grange pour être mis en terre car le sol était trop gelé. La vie n’était pas très facile pour les habitants, j’avais une collègue qui faisait des études d’histoire. Elle avait fait un mémoire sur la vie des paysans de la vallée : les familles étaient nombreuses et le taux de mortalité pour les enfants en bas âge assez important. Si un enfant mourait, c’était le destin et une bouche de moins à nourrir, si une vache mourait, c’était une catastrophe car c’était une partie de la subsistance qui disparaissait.
Les mélèzes et la pierre trouvés sur place assuraient les principaux matériaux de construction, le bas des maisons étaient en pierre, le toit en lauzes ou en tavaillons, la grange et les bardages en bois, même les gouttières étaient creusées dans des bois de hautes futaies. La vie a bien changé et le village a évolué, c’est une petite station de skis encore très familiale avec des gîtes et même quelques hôtels et restaurants, mais des efforts sont faits pour préserver le caractère ancestral.
L'artisanat du bois est très developpé, jouets et petits meubles, le pin cimbro une variété de mélèzes adaptée à l'altitude est très facile à sculpter.




On trouve par exemples six croix de mission, avec les instruments de la passion. Elles ont été érigées chaque fois qu’un missionnaire est venu dans le village évangéliser les "ouialles", une belle église et un four à pain est encore en activité. Le pain n’était cuit que 3 ou 4 fois par an, celui de l’automne durée tout l’hiver, il devenait tellement dur qu’il était émietté dans la soupe au lard.
J’aime bien l’atmosphère de ces hauts lieux et nous prenons notre temps jusqu’à ce que la fraicheur nous incite à retrouver notre camping à la nuit tombante.
Le lendemain matin, nous décidons d’aller nous balader au col Agnel. Nous quittons le camping en milieu de matinée. Sur la route du col, un peu avant Molines une superbe demoiselle coiffée se dresse fièrement de l’autre coté du vallon.

Le col Agnel 2740m permet de passer en Italie et de rejoindre la plaine du Pô. Beaucoup de touristes au col, surtout des Italiens, Turin n’est distant que d’une centaine de kilomètres. Nous nous garons un peu en contre bas du col coté français au niveau du refuge du col Agnel (2580m). Il est très facile d’atteindre le Pain de sucre, énorme taupinière qui culmine à plus de 3200m c’est notre objectif. En partant du col c’est moins de 500m de dénivelé, nous en ferons un peu plus car nous sommes garés au niveau du refuge en contre bas. Un beau sentier s’élève dans les alpages jusqu’au col Vieux 2800m.



Ce sera le point haut atteint par nos épouses, beau point de vue sur le lac Foréant et la paroi de La Taillande parcourue par quelques voies d’escalade toutes en dalles. Nous apprendrons le lendemain matin qu’un sauvetage par l’hélicoptère de Briançon a eu lieu dans la nuit. A la sortie des voies, il faut parcourir l’arête de droite et redescendre par une sente mal commode, la cordée s’est égarée à la descente et s’est trouvée bloquée, sans doute à cause du brouillard et de la pluie tombée en fin de soirée, ils ont dû appeler les secours qui sont intervenus avec le projecteur de l’hélico en pleine nuit.
Du col Vieux, la sente s’élève en continu jusqu’au sommet. Je comparerai le Pain de sucre à un énorme cairn composé de petites dalles instables, le problème c’est qu’il y a des sentes dans tout les sens et il est très facile de s’égarer de l’itinéraire principal, surtout à la descente au risque de se retrouver piégé dans des zones dangereuses sur des empilements instables et abrupts.


Sur quelques dizaines de mètres de la partie sommitale il faut être un peu plus d’attentif car le sentier disparait remplacé part des dalles avec quelques marques de peinture où il faut par endroit mettre un peu les mains, mais rien de compliqué par temps clair et sec.

Nous ne trainons pas trop car le mauvais temps semble s’installer dans la vallée du Pô et des nappes de brouillard enveloppent par moment le sommet.
Brève halte au sommet et retour vers le bas où nos épouses ont déjà rejoint les camping-cars, la table sera prête, Merci mesdames ! Le brouillard recouvre déjà le pain de sucre, sur le chemin du retour, quelques nappes de brouillard nous enveloppent par moment, les retardataires devront être un peu plus vigilants. En fin d’après midi une petite ondée rafraichira fortement l’atmosphère.

Il ne nous reste plus qu’à rentrer sur Grenoble, petit arrêt à Château-Queyras pour acheter des tommes et du fromage bleu de fabrication locale. Ce ne sont pas de grands fromages mais c’est toujours agréable.
Nous reprenons l’itinéraire inverse mais au lieu de reprendre le col Izoard nous descendons toute la vallée du Guil jusqu’à Guillestre avant de remonter jusqu’à Briançon et le col du Lautaret où nous nous arrêtons pour le repas du soir avant d’atteindre Grenoble un peu après minuit.
C’est en franchissant le défilé des gorges du Guil, que l’on comprend mieux pourquoi les habitants de ces hautes vallées étaient isolés les longs mois d’hiver.

Queyras Août 2020
A bientôt